vendredi 25 mai 2012

L'histoire d'un gars



C’est l’histoire d’un gars qui a choisi de changer d’histoire. Ce gars, il est journaliste – pour peu de temps encore -, collaborateur au Soir et à l’agence Belga notamment. Un vrai de vrai, un passionné, rigoureux et honnête, un chouette bonhomme qui plus est. Souvent râleur, comme tous les Liégeois que je connais. Parfois coupeur de cheveux en quatre - mais n’est-ce pas ce qu’on attend des journaleux ? Forcément, il ne gagnait pas beaucoup mais ce pas beaucoup était encore de trop : il y a quelques semaines, sa collaboration au Soir avait provisoirement été suspendue en rétorsion de son refus de voir ses papiers gratuitement publiés aussi chez SudPresse. Récemment aussi, m’a-t-on dit, il avait été fort affecté qu’on reproche aux collaborateurs régionaux d’être source de gaspillage d’argent : pourquoi, en effet, leur commander des reportages si les même sujets pouvaient être traités pour moins cher par un collègue de SudPresse ?
Parce que les histoires écrites par des comptables ne sont pas de bonnes histoires, parce qu’elles sont rédigées de piètre façon et qu’on en devine généralement la fin, il a donc décidé de passer de l'autre côté du miroir. 

mardi 22 mai 2012

De la vitamine C pour le dernier numéro de Journalistes

"Des pigistes pressés comme des citrons" : le dernier numéro (157, mai 2012) du mensuel Journalistes, édité par l'AJP, a donné la parole à Presse-citron (qui vient d'ailleurs de se doter d'un compte Twitter : @lapressecitron).

Parce que tous nos lecteurs ne sont pas journalistes, voici une copie de cette interview :

Journaliste, un métier de rêve? Dans l'absolu, oui. Le métier reste passionnant : il est varié, intellectuellement enrichissant, nous permet d'assouvir une partie de notre curiosité et de rencontrer des gens plus méritants que nous le serons jamais. Il a aussi des ambitions de service au public : informer sans déformer, mentir ou trahir, décrypter et mettre en perspective, révéler parfois aussi. Mais, c'est peu de le dire, les conditions matérielles sont devenues très difficiles : les plans de restructuration se suivent et se ressemblent malheureusement, les embauches se font au compte-goutte et dans des conditions de moins en moins dignes, les piges se font de plus en plus rares pour les journalistes indépendants. De manière générale, nous pensons que l'information n'est pas un produit comme un autre, qu'on ne fabrique et ne vend pas des reportages comme des boîtes de petits pois. C'est malheureusement de moins en moins vrai et il en va aujourd'hui de la presse comme de la plupart des secteurs d'activité économique : contraintes de rentabilité, management de plus en plus agressif, etc. La pratique du métier est donc souvent très éloignée de l'image que s'en fait le public, le métier de rêve l'est de moins en moins. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous regrouper pour créer « Presse-citron » ? Des synergies ont récemment été mises en place entre SudPresse et le Soir, essentiellement au niveau des régions. Un article écrit par un journaliste de SudPresse peut donc se retrouver dans Le Soir et inversement. La volonté du groupe est de faire des économies d'échelle. Ces synergies ont été imposées sans aucune concertation, sans que les journalistes indépendants (très nombreux en région) en soient officiellement informés, sans communication aux lecteurs et bien sûr sans compensation financière pour ces indépendants. Ces derniers, parce que les plus fragiles, font donc les frais de la politique d'austérité décidée par le groupe Rossel. Nous sommes quelques-uns à nous être informellement regroupés pour créer le blog Presse-Citron. Le but est double : attirer l'attention du public sur les conditions de travail imposées aux indépendants et informer les lecteurs sur ces synergies. Car nous pensons que cette fusion partielle des rédactions porte atteinte aux deux journaux : si un lecteur de SudPresse voulait lire des articles calibrés pour Le Soir, il lirait celui-ci. Et vice-versa. Nous savons que la presse vit des moments difficiles mais 1/Nous ne sommes pas persuadés que l'austérité est la seule voie possible, peut-être faudrait-il d'abord songer à une amélioration qualitative de l'offre  2/Si on nous démontre que des économies sont effectivement nécessaires, nous déplorons alors qu'elles se fassent une fois de plus sur le dos des collaborateurs indépendants et de manière aussi brutale. 


Pourquoi avoir choisi de vous exprimer, dans votre blog, sous le couvert de l’anonymat ? Parce que individuellement, nous travaillons avec les deux titres précités et que la direction de SudPresse a clairement fait savoir que ceux qui refuseraient que leurs articles soient gratuitement repris dans Le Soir n'auraient d'autre choix que d'arrêter leur collaboration. Le même chantage n'est officiellement pas de mise au Soir mais il y a quelques semaines, deux collaborateurs qui avaient refusé que leurs articles soient repris gratuitement dans SudPresse ont provisoirement été interdits de signature. Ils n'ont été réintégrés que parce que la rédaction s'est mobilisée. En clair, nous pensons que signer les articles de Presse-Citron nous exposerait à des représailles. D'autant plus difficiles à assumer pour les indépendants qui collaborent à ce blog puisqu'ils n'ont pas droit aux allocations de chômage. 

Quels sont vos objectifs, à travers ce blog ? Ce n'est qu'un modeste blog, fait sans moyens et avec peu de temps. Mais avec celui de l'AJP, il est une des seules plateformes qui informe le public sur les conditions de travail des indépendants et l'existence des synergies. Les conditions de travail imposées aux indépendants étant plus ou moins les mêmes dans presque tous les médias, on ne peut s'attendre à ce que ceux-ci relayent nos revendications. A notre connaissance d'ailleurs, seule la RTBF a parlé de ces synergies. Qui sait, par exemple, qu'une enquête de l'AJP a révélé que plus de la moitié des journalistes indépendants doit se contenter de 2300 euros bruts par mois? Que le montant de leurs piges n'a, dans plusieurs rédactions, pas été augmenté ni même indexé depuis plus de 10 ans?  Que lorsque les synergies ont été imposées, plusieurs collègues ont immédiatement perdu leur collaboration? Si ces inégalités touchaient un autre secteur d'activité, la presse s'en offusquerait et le public serait informé. Ici, personne ne sait rien. Ou feint de ne pas savoir. Journalistes, passionnés par notre métier, nous avons donc estimé que ces informations en valaient d'autres et avons choisi de les publier sur ce blog, faute de pouvoir le faire ailleurs. Nous allons maintenant assurer une plus grande publicité à ce blog et toute aide en ce sens est la bienvenue : parlez-en autour de vous, tweetez, facebookez, envoyez des courriels... 



dimanche 20 mai 2012

Fadila, es-tu là?

Le moins que l'on puisse écrire est que les synergies entre journaux francophones n'émeuvent pas le pouvoir politique, pas plus que le sort réservé aux collaborateurs de ces titres. Et tant pis pour la diversité d'opinion : que vaut en effet encore celle-ci lorsqu'un même journaliste est chargé de relayer dans deux ou trois médias (voire beaucoup plus lorsque cet indépendant est aussi le correspondant de l'agence Belga) le même événement, la même conférence de presse?
Hommes et femmes politiques n'ont pourtant pas les mains liées : on attend d'eux qu'ils s'inquiètent de ce pluralisme malmené, qu'ils soient plus vigilants aussi sur l'octroi des aides à la presse.

Régies par le décret du 31 mars 2004, ces aides directes sont gérées par le Centre d'aide à la presse écrite de la Communauté française (sous la tutelle de Fadila Lanaan) et ont été fixées à une somme de 6,2 millions d'euros, indexée depuis 2005.

On le voit sur le graphique ci-dessous (issu d'un rapport de la Cour des comptes adressé au parlement de la CF en janvier 2012), SudPresse est de loin le premier bénéficiaire de cette aide (1,6 million en 2009), suivi  des Editions de l'Avenir puis de Rossel.


Or, comme le rappelle un Courrier hebdomadaire du CRISP paru en 2005, cette aide est conditionnée au respect de clauses sociales : "Pour obtenir une partie de l'aide à la presse, les éditeurs devront en effet respecter les conventions collectives sectorielles ou conclues au sein des entreprises, les accords concernant les indépendants, la législation sur le droit d'auteur ou l'application du code de déontologie." De fait, le décret de mars 2004 fixant les modalités de cette aide à la presse stipule expressément dans son article 7§1er que l'entreprise n'est éligible que si elle applique et fait appliquer "les accords collectifs sectoriels et d'entreprise en vigueur pour les journalistes salariés et les accords applicables aux journalistes indépendants, les engagements pris en matière de formation et {le respect de} la législation sur les droits d'auteur."

L'élégant courrier adressé le 27 mars 2012 par la direction de SudPresse à ces collaborateurs ne contrarie-t-il pas l'esprit, sinon la lettre du décret? Nous ne résistons d'ailleurs pas à relire ensemble un extrait de ce grand classique signé Philippe Miest et Thierry Delhaye, réputés pour leur plume empreinte de poésie et d'humanité : "Vous comprendrez que nous ne pourrons pas appliquer ces synergies 'à la carte' en vérifiant à chaque fois le nom choix de chaque collaborateur" car "Au quotidien, cela constituerait un ingérable casse-tête." En conséquences, avertissent-ils la larme à l'oeil, "Nous ne pourrons donc que maintenir une collaboration qu'avec ceux et celles qui accepteront que leurs articles, photos et autres productions puissent également être publiés, sans rémunération complémentaire, dans Le Soir ou dans une autre publication du groupe Rossel."

Si ce chantage à l'emploi ne contrevient pas au nécessaire respect des droits d'auteur, on peut alors se demander pourquoi cette clause d'éligibilité a été ajoutée au décret.... Reste à Fadila Lanaan, ministre communautaire de la Culture et de l'Audiovisuel, à faire appliquer le texte et à tout le moins, à demander des explications aux éditeurs et à s'interroger sur l'usage qu'ils font de cet argent public.




Source du graphique ci-dessus: "Etat des lieux des médias d'information en Belgique francophone", réalisé en mars 2011 par les professeurs Frédéric Antoine de l'UCL et François Heinderyckx de l'ULB à partir des données de la SCRL Les Journaux francophones belges.




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lundi 14 mai 2012

Changement(s) en vue au Soir

Parce que le Soir, et plus généralement, la presse doit faire face "à des changements radicaux", deux "séances d'accompagnement" à l'attention des journalistes de la maison sont prévues dans les semaines qui viennent.
Il ne s'agira pas seulement de leur expliquer comment gérer ces changements mais aussi de les écoler pour affronter les "résistances", a prévenu Didier Hamman dans un email à l'attention de la rédaction. On espère que les collaborateurs indépendants ne feront pas les frais de ce nouveau plan de bataille mais qu'au contraire, ces réunions seront l'occasion de pacifier les relations entre l'un et les autres. 
Par ailleurs, l'organigramme devrait, lui aussi, être réorganisé puisque Thierry Tinlot, à la tête du service culture depuis un an, pourrait être remplacé par Xavier Flament, responsable des publications au Palais des Beaux Arts et que Huber Vanslembrouck, rédacteur en chef adjoint de SudPresse, pourrait - avec le même conditionnel - rejoindre la rédaction en chef du Soir.

vendredi 11 mai 2012

Le prix Belfius-Dexia encore attribué à un indépendant du Soir

Les prix Belfius du journalisme (anciens prix Dexia) ont été remis hier, jeudi 10 mai, à Bruxelles. Un travail publié dans Le Soir a, aux côtés de François Brabant du Vif et de Odile Deherte de la RTBF, été primé : J'ai risqué de me ruiner en multipliant les crédits, d'Olivier Bailly. Ce dernier est journaliste indépendant.
En 2011, Le Soir et ses indépendants avaient encore été mis à l'honneur avec Le Bonheur brut, un webdoc d'Arnaud Grégoire et avec David Leloup, collaborateur freelance auteur d'une enquête sur le vaccin anti H1N1.
L"année précédente, les deux prix accordés au Soir l'avaient été à des salariés, Hugues Dorzée pour une enquête sur les armes wallonnes vendues en Lybie et, en catégorie presse financière, Pierre-Henri Thomas et Philippe De Boeck pour une série sur la banque Kaupthing.
En 2009, c'est Joël Matriche, collaborateur indépendant, qui avait été récompensé pour un reportage sur les maternités nazies durant la Seconde Guerre mondiale. Il succédait lui même à Nicolas Crousse (salarié), auteur d'un portrait remarqué d'Yves Leterme.

Bien que travaillant avec peu de moyens, les collaborateurs indépendants du Soir ont donc raflé une bonne partie des derniers Prix Dexia/Belfius. Ce qui rend plus admirable la façon dont les considère aujourd'hui la direction.

lundi 7 mai 2012

Bonne nouvelle pour les journalistes indépendants

Collègues freelances, ne désespérez pas : ce n'est pas demain qu'on délocalisera votre job! Un lecteur a attiré notre attention sur une récente étude Eurostat pointant les différences de coût horaire de la main d'oeuvre au sein de l'Europe des 27.

Source : Eurostat, Coûts de la main d'oeuvre dans l'UE27 en 2011

L'Europe, qui ne ménage pas son énergie pour normaliser le diamètre des câbles électriques ou la masse admissible des céréales, a encore du chemin à faire en matière sociale : alors qu'en 2011 le coût horaire moyen de la main d'oeuvre était de 39,3 euros en Belgique et de 39,1 euros en Suède, il n'était que 5,5 euros en Lituanie et 3,5 euros en Bulgarie.
Un collègue payé 100 brut pour une journée de travail ne revient donc pas plus cher à son employeur qu'un travailleur tchèque, à peine plus qu'un Hongrois ou un Polonais. Elle est pas belle la vie?

vendredi 4 mai 2012

Question écrite de Georges Gilkinet à la ministre Laruelle

Pour rappel, le député fédéral Ecolo Georges Gilkinet a interrogé en avril Sabine Laruelle, ministre (MR) des Classes moyennes, des PME et des indépendants notamment, sur les synergies au sein du groupe Rossel et sur leurs conséquences pour les collaborateurs indépendants. Il réagissait ainsi à un courrier plein d'humanité envoyé par la direction de SudPresse à ses collaborateurs.
Copie de cette question écrite, datée du 12 avril, est produite ci-dessous.
Contacté par Presse-Citron, Georges Gilkinet se dit "très sensible à la situation de la presse en générale et des journalistes indépendants en particulier" étant donné "ma formation de journaliste mais aussi comme acteur politique/observateur de médias qui connaissent de grandes difficultés". Le député a promis de mettre, sur son blog personnel, un lien vers Presse-Citron.
Enfin et spécifiquement à l'attention des éventuels esprits chagrin, précisons que Presse-Citron est (forcément, avons-nous envie de dire) un blog apolitique et que s'il devait y en avoir, il accueillerait avec le même réconfort les témoignages des représentants de tous les partis démocratiques.



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Question écrite de Georges Gilkinet, député, à Madame Laruelle,
Ministre des Indépendants
Concernant le chantage à l’emploi mis en place par un groupe de presse à l’égard de ses journalistes
pigistes

Outre des journalistes employés, les directions des organes de presse font appel à des journalistes
indépendants pour la rédaction des articles publiés dans les journaux, magazines ou autres sites
Internet. Il s’agit d’une pratique très répandue. Avec les difficultés économiques que connaissent de
nombreux organes de presse, ces « pigistes » sont souvent les premières victimes des mesures de
restructuration.

J’ai récemment été interpellé par la divulgation d’un courrier envoyé par un quotidien francophone à
ses collaborateurs indépendants
(https://docs.google.com/file/d/0B4gTg0vfpr9RM29JMmxNclZTb2llVEZEdm53QTVOQQ/edit?pli=1)
afin d’annoncer le renforcement des synergies rédactionnelles entre ce quotidien et un titre
appartenant au même groupe. Ce courrier signifiait aux collaborateurs indépendants que « leurs
articles, photos et autres production pourraient être publiés » dans les autres publications du groupe
« sans que ces personnes [les collaborateurs indépendants] puissent prétendre à une rémunération
complémentaire ». Il précise qu’il sera mis fin à la collaboration entre le journal et le pigiste si ce
dernier n’accepte pas ce principe. Cette dernière menace constitue selon moi, un chantage
particulièrement difficile à accepter.

Madame la Ministre, pouvez-vous m’indiquer :
• Si le dispositif imposé décrit ci-dessus est légal ?
• Quels sont les cas échéants les possibilités de recours des concernés à l’égard de cette
pratique ?
• Si votre administration a déjà été saisie de plaintes pour des pratiques similaires ? A combien
de reprises ? Quelles suites ont été données à ces plaintes ?
• Quels sont les mesures que vous avez prises depuis votre entrée en fonction pour lutter
contre le phénomène des faux indépendants, notamment dans le secteur de la presse ?

Je vous remercie par avance pour les réponses que vous donnerez à ces questions.