dimanche 20 mai 2012

Fadila, es-tu là?

Le moins que l'on puisse écrire est que les synergies entre journaux francophones n'émeuvent pas le pouvoir politique, pas plus que le sort réservé aux collaborateurs de ces titres. Et tant pis pour la diversité d'opinion : que vaut en effet encore celle-ci lorsqu'un même journaliste est chargé de relayer dans deux ou trois médias (voire beaucoup plus lorsque cet indépendant est aussi le correspondant de l'agence Belga) le même événement, la même conférence de presse?
Hommes et femmes politiques n'ont pourtant pas les mains liées : on attend d'eux qu'ils s'inquiètent de ce pluralisme malmené, qu'ils soient plus vigilants aussi sur l'octroi des aides à la presse.

Régies par le décret du 31 mars 2004, ces aides directes sont gérées par le Centre d'aide à la presse écrite de la Communauté française (sous la tutelle de Fadila Lanaan) et ont été fixées à une somme de 6,2 millions d'euros, indexée depuis 2005.

On le voit sur le graphique ci-dessous (issu d'un rapport de la Cour des comptes adressé au parlement de la CF en janvier 2012), SudPresse est de loin le premier bénéficiaire de cette aide (1,6 million en 2009), suivi  des Editions de l'Avenir puis de Rossel.


Or, comme le rappelle un Courrier hebdomadaire du CRISP paru en 2005, cette aide est conditionnée au respect de clauses sociales : "Pour obtenir une partie de l'aide à la presse, les éditeurs devront en effet respecter les conventions collectives sectorielles ou conclues au sein des entreprises, les accords concernant les indépendants, la législation sur le droit d'auteur ou l'application du code de déontologie." De fait, le décret de mars 2004 fixant les modalités de cette aide à la presse stipule expressément dans son article 7§1er que l'entreprise n'est éligible que si elle applique et fait appliquer "les accords collectifs sectoriels et d'entreprise en vigueur pour les journalistes salariés et les accords applicables aux journalistes indépendants, les engagements pris en matière de formation et {le respect de} la législation sur les droits d'auteur."

L'élégant courrier adressé le 27 mars 2012 par la direction de SudPresse à ces collaborateurs ne contrarie-t-il pas l'esprit, sinon la lettre du décret? Nous ne résistons d'ailleurs pas à relire ensemble un extrait de ce grand classique signé Philippe Miest et Thierry Delhaye, réputés pour leur plume empreinte de poésie et d'humanité : "Vous comprendrez que nous ne pourrons pas appliquer ces synergies 'à la carte' en vérifiant à chaque fois le nom choix de chaque collaborateur" car "Au quotidien, cela constituerait un ingérable casse-tête." En conséquences, avertissent-ils la larme à l'oeil, "Nous ne pourrons donc que maintenir une collaboration qu'avec ceux et celles qui accepteront que leurs articles, photos et autres productions puissent également être publiés, sans rémunération complémentaire, dans Le Soir ou dans une autre publication du groupe Rossel."

Si ce chantage à l'emploi ne contrevient pas au nécessaire respect des droits d'auteur, on peut alors se demander pourquoi cette clause d'éligibilité a été ajoutée au décret.... Reste à Fadila Lanaan, ministre communautaire de la Culture et de l'Audiovisuel, à faire appliquer le texte et à tout le moins, à demander des explications aux éditeurs et à s'interroger sur l'usage qu'ils font de cet argent public.




Source du graphique ci-dessus: "Etat des lieux des médias d'information en Belgique francophone", réalisé en mars 2011 par les professeurs Frédéric Antoine de l'UCL et François Heinderyckx de l'ULB à partir des données de la SCRL Les Journaux francophones belges.




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